26 Avril 2013
Faire du cochon bio en plein fief de cochon conventionnel est-ce possible? C'est ce qu'est allé voir l'association Baie de Douarnenez Environnement (BDZE) le samedi 13 avril 2013 en visitant l'élevage de Jérôme Jacob à Quimper.
En examinant le "bizness plan" de ses cochons fermiers, Jérôme Jacob apprend que la filière conventionnelle ne lui garantit que 2 ans de débouché. Il a 30 ans, une expérience professionnelle loin de la Bretagne. On est en 2009 et il vient de reprendre la ferme familiale. Jérôme décide alors de se convertir en bio pour une meilleure garantie économique. "La conversion a été assez facile car mes parents avaient déjà posé les bases". Au départ, en 1974, ses parents font du porc industriel sur caillebotis. C'était comme ça. Mais dans les années 90, quand tout le monde double sa production, les parents de Jérôme optent pour l'autonomie et de bonnes conditions de vie pour eux…et pour leurs cochons. Un moulin et un silo de stockage des céréales sont installés pour les aliments produits à la ferme. Les caillebotis sont abandonnés au profit de la paille. Le désherbage par binage remplace les désherbants chimiques. La ferme était techniquement mûre pour la conversion à la bio.
Les raisons de la conversion
Pas besoin de raser tous les bâtiments, mais simplement de les aménager autrement. Pas besoin non plus de fortement s'endetter pour assurer une course à la très haute technicité de l'agriculture conventionnelle. "Mais avant de se lancer dans l'agriculture biologique, continue Jérôme, il faut être solide économiquement, il faut une exploitation saine." C'est d'ailleurs, selon lui, l'endettement actuel des agriculteurs qui serait le plus grand frein au changement de pratique. Aujourd'hui, il gagne correctement sa vie, il prend des vacances et travaille en moyenne 40 heures/semaine. "Et surtout, assure-t-il les yeux dans les yeux, j'ai un vrai rapport à ma terre et à mes animaux".
Gestation, maternité, et engraissement
Avant que nous pénétrions dans la maternité, Jérôme fait un aller retour entre ses truies et leurs petits pour les prévenir et les rassurer. Il n'aime pas qu'elles aient peur. Les 55 truies sont réparties en 3 bandes de gestantes qui mettent bas en même temps car les cycles de chaleur sont toujours gérés par le sevrage toutes les 6 semaines.
Chaque truie et sa portée, de 11 à 14 cochons, bénéficient de 12 m2 sur paille accumulée avec une litière changée totalement au moment du sevrage. En attendant, chaque semaine, de la nouvelle paille est déversée à la main et les cochons l'étalent et l'aèrent en fouissant. Jour après jour, la litière fermente et réchauffe les petits cochons, qui par ailleurs bénéficient de niche chauffée à la lampe. La truie n'est maintenue que quelques jours pour faciliter la mise à bas sans écraser ses porcelets. "La mère écrase en moyenne un porcelet par portée et c'est la principale cause de mortalité dans mon élevage", assure l'éleveur. Même sans médicament ou antibiotique, je n'ai pas de problème de maladie." Sur 1000 naissances, 600 cochons sont vendus après sevrage, et 400 engraissés à la ferme avec un accès direct sur une cour extérieure. Chacun atteint les 120kg à son rythme, de 6 à 10 mois, puis est conduit à l'abattoir, à raison d'une moyenne de 5 par semaine. Les truies sont vendues en charcuterie après 5 ans de maternité et 2 portées par an. Le renouvellement est effectué par l'éleveur qui connait chacune de ses truies. Il repère les filles des mères très maternelles et les garde à la ferme.
Les filières de vente
Le principal débouché est assuré par Bretagne Viande Bio (BVB), groupement d'une trentaine d'éleveurs et de transformateurs, qui commercialise 6000 porcs par an. Pour comparaison, ERCABIO filiale de COOPERL, en commercialise 30000. D'autres sont vendus à la biocoop de Pont-L'abbé qui achète des carcasses entières grâce à son laboratoire de boucherie, contrairement à la biocoop de Quimper qui n'achète que des pièces. Enfin, des cochons sont transformés par un boucher-charcutier de Plonevez-Porzay et vendus par caissettes de 10 à 20 kg à la ferme le samedi matin. Une occasion aussi de visiter l'exploitation avec les enfants.
Des champs et des cochons
Les bêtes sont nourries à 80% avec ce qui est cultivé à la ferme. "En bio, confie Jérôme, c'est la reconversion des cultures qui est le plus compliquée, et non celui de l'élevage". Les 70 ha de champs fonctionnent maintenant en cultures associées triticale et pois fourrager car le pois s'enroule bien sur la céréale, en féverole pour fixer l'azote atmosphérique dans la terre ou en maïs. Les pois et la féverole apportent les protéines; mais et céréales l'amidon, c'est-à-dire l'énergie. Toutefois 20% de compléments alimentaires, tourteaux de colza, tournesol et soja bio, sont achetés. Le fumier de la porcherie est composté dans une fumière étanche puis les 350 tonnes sont épandues sur les champs en février pour un apport de 5,7 unités azote/Tonne. Avec le lisier (0,5 unité azote/m3) son sol bénéficie de 30 unités azote/Tonne à l'hectare. Il est loin des 140 autorisés.
L'avenir des élevages bretons
Selon cet homme de terrain, il y aurait 2 catégories d'élevage de porcs. Ceux de plus de 300 truies, allant jusqu'à 1000, en élevage industriel, avec une dizaine de salariés et un patron plus agri-manageur qu'agriculteur, en étroite collaboration avec les chambres d'agriculture, les coopératives ou les syndicats. Ici la logique industrielle est lancée et il est quasi impossible de faire marche arrière. L'avenir d'un tel élevage sera-t-il d'être repris par les coopératives, par la grande distribution ou par les banques? Et puis il y a les élevages de moins de 200 à 300 truies, généralement tenus par un couple arrivant à la retraite et au bout de son emprunt, se demandant à qui remettre sa ferme. L'avenir d'un tel élevage est parfois problématique… La survie pourrait venir d'un changement radical de système en passant à l'agriculture biologique sur de plus petites exploitations. Les premiers prétendent nourrir le monde, tandis que les deuxièmes démontreront, en écho à Jacques Caplat dans son livre*, la viabilité de l'agriculture biologique pour nourrir l'humanité.
Flora Madic
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*Jacques Caplat, L'agriculture biologique pour nourrir l'humanité, Domaine du possible, Actes Sud, 2012.
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L'exploitation en chiffres
● 2 travailleurs soit un revenu pour 25 truies contre un revenu pour 100 truies en conventionnel
● 55 truies réparties en 3 bandes de gestantes
● 2 verrats
● 1 mélange de 4 races de cochons sélectionnés pour leurs qualités : la résistance, la prolicité, la rusticité, le goût et l’aptitude à "faire du maigre".
● 1000 porcelets par an dont 600 vendus et 400 engraissés à la ferme
● 70 ha de culture biologique
● 200 euros de la PAC par ha et par an pour les cultures biologiques, pendant 5 ans,
puis 100 euros /ha/an en soutien et 0 euros de la PAC pour l'élevage bio
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